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Archéo Mellois textes et documents
11 août 2007

1721 : l'affaire Vigo - Particelle, ou comment s'emparer d'un prieuré

situer_Mougon_agrandi


Les archives départementales des Deux-Sèvres conservent un dossier de plusieurs dizaines de pages imprimées à Paris entre 1726 et 1728. Il nous serait difficile de récupérer et de mettre en ligne une telle quantité de texte. En voici une analyse.


Une chronologie des événements :

chronologie_affaire_Vigo_Particelle


factum_1726


  En juillet 1721 Urbain Particelle, ancien prieur de Mougon, se meurt à Lyon. Au même moment le prêtre Abraham-Marie de Vigo, vicaire de l'église St-Paul de Lyon, "impètre en cour de Rome le prieuré de Mougon, par dévolu sur le sieur Gaultier, pour cause de simonie et confidence", c'est-à-dire qu'il réclame pour lui-même le prieuré de Mougon, au motif que le prieur en titre, Gautier, n'est pas digne de posséder ce bénéfice, parce qu'il l'a acheté à son prédécesseur.


Les textes et les faits

  On ne connaît ces événements que par des factums, c'est-à-dire des plaidoiries publiées par les avocats opposés à Vigo, lors des procès qui se sont succédé en cascade dans les années suivantes.

  Comment Vigo, depuis Lyon, a-t-il pu impétrer en cour de Rome le 2 juillet 1721, et se trouver  instantanément investi du prieuré de Mougon, à partir de ce même 2 juillet 1721 ? Il y a là des détails de procédure canonique qui m'échappent, bien qu'ils soient discutés dans un des factums.

  Cette histoire est une sorte de roman noir, sur lequel les plaidoiries des avocats ne livrent que des lueurs éparses, tendancieuses et incomplètes. Au lecteur d'en faire la synthèse.


Urbain Particelle

  On peut se représenter le sieur Urbain Particelle comme une sorte de grand bourgeois sceptique et désabusé, peut-être libertin, au sens que l'on donnait alors à ce terme.  Il descend d'une famille de banquiers italiens installés à Lyon, et anoblis. L'un de ses ancêtres (son aïeul ou bisaïeul ?), apprécié du cardinal de Richelieu, a réussi à devenir surintendant des finances en 1648-1649, c'est-à-dire ministre d'Etat, prédécesseur de Nicolas Foucquet.

  Sa famille le destinait à une carrière ecclésiastique, qui ne lui convenait pas. En 1685 il a fait dresser un acte de protestation contre sa promotion au sous-diaconat : il se plaignait d'avoir été forcé d'entrer dans les ordres par son père.

  Il n'en est pas moins resté dans le clergé, mais il n'y a pas fait carrière. Il n'est même pas devenu prêtre. Il est resté simple diacre, pourvu de bénéfices que l'on peut considérer comme des héritages familiaux : un canonicat de l'église St Paul à Lyon, le prieuré de Mougon près Niort en Poitou (Il se trouve que son oncle et homonyme Urbain Particelle, mort vers 1700, était curé de St Paul et prieur de Mougon.) Il semble avoir vécu de ses revenus à Lyon, sans activité ni ambition, n'hésitant pas à s'afficher avec sa maîtresse, la demoiselle Sauten.

particelle_mort

  Le 1° septembre 1717 il résigne ses bénéfices, en échange de pensions viagères. Pourquoi ?
Ce n'est pas pour les transmettre à un membre de sa famille. Ce n'est pas non plus pour se débarrasser du labeur induit par ses fonctions : le travail de prieur de Mougon est sous-traité à un vicaire pour 200 livres par an, alors que le prieur, sans avoir jamais mis les pieds dans son prieuré, touche un revenu de 3.500 livres versé par le fermier général. La pension viagère qui lui reste après résignation du prieuré est fixée à 1.750 livres, puis 1.200 livres : une perte énorme de revenu.

Urbain Particelle a-t-il subi des pressions de sa hiérarchie ? Ou bien y a-t-il eu, comme le prétend Vigo, une transaction occulte, une vente secrète de bénéfice ecclésiastique, permettant à Urbain Particelle de laisser un capital à sa famille, faute d'avoir un neveu apte à lui succéder ?

  Quatre ans plus tard Urbain Particelle agonise. Sa maîtresse est à Genève. C'est le moment que choisit l'archevêque pour l'interroger sur ses convictions religieuses. Pourquoi ? Parce qu'on le soupçonne d'apostasie, comme le prétendra Vigo ? Ou bien parce qu'il a vécu en libertin, affichant son indifférence religieuse ? En tout cas Urbain Particelle se plaint de ce harcèlement dans une lettre à sa maîtresse, mais signe une déclaration édifiante, et meurt dans la paix de l'église.


Abraham-Marie de Vigo

  Il est difficile de savoir si les accusations lancées par Vigo sont fondées, on ne peut guère se fier là-dessus aux plaidoiries de ses adversaires. Mais, s'il n'est peut-être pas l'escroc qu'ils décrivent, Vigo est certainement un redoutable manipulateur, ambitieux et sans scrupules.

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  Il est d'extraction modeste, "fils d'un chirurgien d'un village du Forest".  Cela le condamne à végéter dans des emplois subalternes, et à ne pas avoir accès aux juteux bénéfices que se partagent les grandes familles. Il a réussi à devenir vicaire de St Paul de Lyon, mais comment aller plus loin ?

  Il connaît naturellement Urbain Particelle, ancien chanoine de St Paul, et fait peut-être partie de ses intimes, à moins que Particelle l'ait engagé pour quelque tâche de secrétariat, ce qui expliquerait qu'il ait eu accès à ses papiers avant sa mort.

  Il entrevoit là sa chance : jeter son dévolu sur le riche prieuré de Mougon. Cette procédure de dévolu est une pratique ancienne et fort encadrée par les textes, mais plutôt mal vue : en dénonçant un possesseur de bénéfice ecclésiastique, et en démontrant son incapacité canonique, on peut prendre sa place. Vigo obtient des "provisions" six jours avant la mort de Particelle. Avait-il eu le temps de préparer son coup, ou bien s'est-il jeté sur une occasion inespérée ?

  Vigo accuse donc le prieur en titre, Gautier, d'avoir acheté le prieuré de Mougon. Il ne connaît probablement pas Gautier, qui réside en Poitou et n'est venu qu'une fois à Lyon, quatre ans plus tôt. Il n'a pas accès à ses papiers. Ce qu'il entend prouver, c'est que Particelle a reçu des sommes considérables lors de sa résignation du prieuré.

  Vigo est suffisamment crédible pour que son dévolu soit admis. Les plaidoiries ne racontent pas précisément cette phase de la procédure. On voit que Vigo se considère désormais comme le prieur légitime de Mougon depuis le 2 juillet 1721, date où il obtenu des "provisions", et que les tribunaux admettent son bon droit. Cependant il n'en touche pas le revenu. La procédure se poursuit, d'abord devant le juge de la cour conservatoire des privilèges de l'université de Poitiers, puis devant la cour des requêtes du Palais, enfin le Grand-Conseil (royal ?), et devant le parlement de Paris.

  Un an plus tard, le prieur Gautier, gravement malade à Niort, résigne son bénéfice en faveur du fils d'un de ses amis, le jeune Maignen. Les plaidoiries ne disent pas s'il a pu faire valider cette résignation à Rome ou à Poitiers. Elles ne disent pas non plus où passe l'argent du prieuré. Qui est le fermier ? Continue-t-il à verser le revenu à Gautier puis à Maignen, ou le met-il sous séquestre ? Quelques allusions laissent penser que le fermier est toujours Pierre Maignen, et qu'il a reconnu Antoine Maignen.

   La procédure traîne en longueur. L'accusation de simonie se révèle fragile, difficile à étayer. En 1722 Vigo sort un autre atout de sa manche : il  prétend prouver qu'Urbain Particelle avait abjuré le catholicisme à Genève en 1700. Cependant ses preuves sont suspectes : expertises, contre-expertises. En février 1726, enfin, Vigo obtient un arrêt du Grand-Conseil en sa faveur.   Il lui faut encore récupérer les revenus du prieuré. Il réclame une somme énorme au jeune Maignen, afin de l'effrayer et de l'inciter à renoncer. Nouveau succès. En mai 1726 Vigo peut enfin toucher l'argent du prieuré. Triomphe sur toute la ligne.

  Cependant la contre-attaque s'organise. Les avocats du jeune Maignen entendent prouver que les pièces produites par Vigo ont été falsifiées, et que Vigo lui-même est un escroc. Le voilà contraint d'éluder, et de retarder par toutes sortes de procédés dilatoires la marche de la justice …


Les Poitevins : Maignen fermier, Gautier, Maignen prieur.

  Avec Gautier et le jeune Antoine Maignen, le prieuré est en quelque sorte de retour au bercail : c'est la bourgeoisie poitevine qui remet la main dessus.

titre_maignen_vigo

Vigo affirme d'une part que le prieur Gautier est un cousin du fermier Maignen, et qu'il lui a servi d'homme de paille pour s'emparer du prieuré, d'autre part que les Maignen fermier et prieur sont proches parents. Les avocats du prieur Maignen disent que la parenté entre le prieur Gautier et le fermier Maignen n'est pas établie, ils nient absolument toute collusion entre les deux, et ils prétendent pouvoir prouver que les deux Maignen n'ont pas de lien de parenté, sinon très lointain. Ils admettent seulement que le père d'Antoine Maignen était un ami intime du prieur Gautier.

  On peut sérieusement douter de cette présentation des choses. Selon toute apparence c'est un large clan de notables Civraisiens qui a réussi à mettre la main sur le prieuré, et entend bien le traiter désormais comme un bien familial. Le prieur Antoine Maignen est peut-être le garçon vertueux et le bon étudiant que décrivent ses avocats, il est étrange qu'un garçon de 12 ans se voie attribuer un énorme bénéfice ecclésiastique. Le rôle de son père dans toute cette histoire, naturellement essentiel, est autant que possible passé sous silence par les avocats.


Quelle est la fin de cette histoire ?

  Comment cette affaire s'est-elle conclue ?

  Le dernier factum conservé date de 1728, à un moment où la situation juridique semble plutôt favorable à Vigo, mais où les avocats de sa victime relancent la procédure avec bon espoir de démontrer qu'il n'est qu'un faussaire.

    En 1731 un rejeton de haute noblesse, Frédéric de la Tour d'Auvergne, prend possession du prieuré. Il se peut donc que les deux adversaires aient perdu la partie, comme dans la fable de l'huître et des plaideurs.


photos Anne Brun - lecture François Vareille

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